L’individu hypermoderne

Depuis quelque temps, une question me revient souvent à l’esprit : pourquoi un tel développement du coaching, pour qui ? Aurions-nous perdu notre bon sens, notre sens de la vie pour que nous soyons tous si mal ? L’individu s’est-il transformé ? La réponse selon Nicole Aubert, donne une explication élargie grâce à la collaboration de sociologues, philosophes, psychiatres, psychanalystes, psychologues, historiens, économistes, parmi lesquels, François Ascher, Paul-Laurent Assoun, Jacqueline Barus-Michel, Robert Castel, Jean Cournut, Bernard, Cova, Eugène enriquez, Marcel Gauchet, Vincent de Gaulejac, Claudine Haroche, Francis Jauréguiberry, Michel Maffesoli, Ezio Manzini, Max Pagès, Jacques Rhéaume, Bernard Stiegler, Elisabeth Tissier-Desbordes. Je me propose de vous faire un résumé de son ouvrage, dont la nouvelle édition est parue en 2006 aux éditions Erès.

J’espère n’avoir pas détourné la pensée de Nicole Aubert, à la suite de la lecture de son ouvrage :

Nicole Aubert, sociologue, psychologue, professeur à l’école de commerce de Paris

(ESCP-EAP). L’Individu Hypermoderne – (Sociologie clinique)

Je vous souhaite une bonne lecture de ce résumé.

 

Depuis quelque temps, une question me revient souvent à l’esprit : pourquoi un tel développement du coaching, pour qui ? Aurions-nous perdu notre bon sens, notre sens de la vie pour que nous soyons tous si mal ? L’individu s’est-il transformé ? La réponse selon Nicole Aubert, donne une explication élargie grâce à la collaboration de sociologues, philosophes, psychiatres, psychanalystes, psychologues, historiens, économistes, parmi lesquels, François Ascher, Paul-Laurent Assoun, Jacqueline Barus-Michel, Robert Castel, Jean Cournut, Bernard, Cova, Eugène enriquez, Marcel Gauchet, Vincent de Gaulejac, Claudine Haroche, Francis Jauréguiberry, Michel Maffesoli, Ezio Manzini, Max Pagès, Jacques Rhéaume, Bernard Stiegler, Elisabeth Tissier-Desbordes. Je me propose de vous faire un résumé de son ouvrage, dont la nouvelle édition est parue en 2006 aux éditions Erès.

Les questions principales que se sont posés ces éminents spécialistes sont les suivantes : Quels sont les nouveaux visages de l’individu contemporain ? S’agit-il d’une métamorphose de l’identité contemporaine, voire d’une mutation anthropologique, et quelles seraient alors, les principales caractéristiques de cette nouvelle identité ? Ils ont tenté d’y répondre lors d’un colloque organisé en septembre 2003 par ESCP et le laboratoire de changement social de l’université Paris 7.

Quelles sont les répercussions de la mondialisation toujours plus poussée de l’économie, de l’évolution des progrès techniques, du changement des modes de communications, des pressions nouvelles en terme d’objectifs, de l’hyperconsommation sur l’individu ? De nouvelles formes de pathologies sont apparues.

Peut-on alors parler de dépassement ou de perversion de la modernité ?

L’individu prend l’habitude de tout obtenir rapidement, sans effort, engendrant frustration lorsque ce n’est plus aussi facile, ce qu’il ne supporte pas. Sollicité en permanence par de nouvelles tentations, il doit apprendre à s’adapter rapidement, trop rapidement, et développe alors un stress quasi-permanent. Si tout à coup les repères mis en place par la société lui sont enlevés, il se retrouve confronté à un vide intérieur, ne vivant que par l’adaptation à ces nouvelles exigences, ne sachant plus quel individu il est.

Les différents chapitres évoquent les questions suivantes :

  1. Qui est l’individu hypermoderne ?
  2. L’individu dans l’excès et les pathologies de l’hypermodernité
  3. L’individu « par défaut » et les contradictions de l’hypermodernité
  4. Les nouveaux modes d’expression de la quête identitaire
  5. Le consommateur hypermoderne
  6. La société hypermoderne.

1. Qui est l’individu hypermoderne ?

Est-il si différent de ses ancêtres ? D’après le groupe de travail dirigé par Nicole Aubert, elle estime qu’un nouvel individu est apparu en raison des mutations importantes et qu’une nouvelle sensibilité s’en est dégagé ; elle qualifie donc ce nouvel individu d’  « Individu hypermoderne ». Elle explique la raison de ce choix en revenant sur les notions de périodes, au sens historique du terme.

La période commence à la Renaissance : naissance d’une science autonome, qui fait fit autant de la religion que de la politique, voire de l’éthique : découverte de Galilée en contradiction avec l’Eglise.

MODERNITE : 3 idées directrices : progrès, raison, bonheur.

Le progrès est évolutif, la raison permet le cadrage, le bonheur devrait être le résultat des deux précédentes.

La philosophie des lumières, 1701 – 1800 est fondée sur la « raison éclairée » de l’être humain et sur l’idée de liberté. Notre société moderne est donc fondée, à la base, avec les notions  d’ « esprit moderne » et d’ « humanisme » et les valeurs qui leur correspondent.

Cependant, depuis quelques décennies, le bonheur promis n’est pas tout à fait au rendez-vous, et un état de malaise s’est substitué à l’enthousiasme qu’aurait dû générer le progrès. Dans les années 1960, on a donc parlé de période « postmoderne », effritement ou perte des structures institutionnelles d’encadrement social et spirituel. L’individu perd ses repères et se retrouve face à une grande liberté, avec la promesse d’une jouissance et d’un épanouissement personnels, sans plus de contraintes.

Nicole Aubert a substitué le concept de postmodernité à celui d’hypermodernité ; en effet, cela implique pour elle, le changement réel de notre société d’aujourd’hui, en se basant, non plus sur la rupture avec les fondements de la modernité,  mais sur l’aggravement, l’exacerbation de celle-ci. Individu postmoderne, hypermoderne, il s’agit du même, seule l’explication de la nature de ce changement diffère.

La question de ce changement a déjà été étudiée par Max Pagès en 1979. Il travaille sur les retombées de la psychologie inconsciente collective, à la suite des transformations techno-économiques et de l’établissement des structures politiques du pouvoir qui s’en est ensuivi.

L’idée de surabondance a été également nommée « surmodernité » par certains anthropologues. D’après Marc Augé (1992), c’est la surabondance et pas l’idée du progrès, qui serait à l’origine de la difficulté de penser. Postmodernité et surmodernité seraient les deux faces d’une même pièce, pile et face, le « temps » ayant été négligé, d’où la difficulté d’adaptation pour l’homme à cette rapidité de « mouvements ». Cet homme nouveau serait lui aussi, composé de multiples facettes, bien plus complexes que celui de la modernité, de la postmodernité.

Marcel Gauchet (1998) oppose la personnalité contemporaine aux types de personnalités qui l’ont précédée (Tiens, cela ne ressemblerait-il pas aux anciens et nouveaux paradigmes de Frédéric Hudson ?). Les notions de conscience, responsabilité et intériorisation,  ont fait place à une individualité où la structuration par  l’appartenance n’existe plus.

La notion de « sens » n’aurait plus de commun, que celle de « risques partagés » ; une liberté pleine et entière plus individuelle que dévouée à une cause explique le changement profond de l’individu, qui n’est aujourd’hui, plus qu’un consommateur. Il doit lutter pour s’imposer, à titre individuel, cette liberté n’a donc pas que des avantages.

Les années 70ont donné naissance à ce nouveau type de personnalité hypermoderne d’après Robert Castel ; on retrouverait, d’après Bauman, Cournut et Gaulejac, des individus correspondant à l’une et à l’autre des faces de l’hypermodernité. Ceux qui bénéficient d’un socle de ressources économiques et sociales ont accès à des facilités de consommation, passent à une surconsommation permanente, avec des excès de pressions, de sollicitations et de stress, pendant que les autres, sont dans l’impossibilité de le faire, et se trouve même, sur une pente de régression, connaissant l’exclusion et l’échec.

Il semblerait qu’il existe un « devoir de jouissance », où l’individu doit toujours se dépasser, se transcender lui-même, laisser son « dieu intérieur » prendre la place du Dieu tout puissant des religions traditionnelles.

A cet éclatement de limites, cette course au « toujours plus », « toujours plus vite », « toujours mieux », sont venues se greffer, pression, stress, conduisant à des pathologies, telles que la surconsommation d’alcool, nourriture, drogues diverses, la dépression, burn out, comme si l’excès de consommation conduisait également à un excès de pathologie.

Les individus  de l’autre face, pour les raisons opposées, se retrouvent confrontés aux mêmes pathologies. Que l’on soit donc « hyper existant » ou au contraire, que l’on pêche par excès d’ «  inexistence », on en vient à ne plus savoir s’aimer, car on se sent « incapable » de n’avoir pas fait ou de ne pas avoir fait « plus ».

Les échanges entres individus iraient plus vite que le temps nécessaire à l’adaptation humaine pour le faire. L’individu hypermoderne se définirait aujourd’hui par sa flexibilité, sa faculté, sa rapidité d’adaptation : ses repères ne sont plus à l’extérieur, mais à l’intérieur de lui-même. Le temps nécessaire qu’exigent sentiments et relations n’existerait plus, ceux-ci n’étant plus des référentiels constants pour l’homme moderne, ne le laisserait plus éprouver que des « sensations », sans profondeur. C’est la question que se pose Claudine Haroche à laquelle Michel Maffesoli répond, que l’individu conserve en lui, l’enfant éternel, avec le partage des émotions et de l’affect ; que contrairement au modèle judéo-chrétien, de la culture de l’héroïque, l’individu moderne ne souhaite qu’une chose : fonder un tribalisme, profiter de l’instant présent, jouir du sentir, de l’émotion partagée, au lieu de rechercher un engagement dans des sentiments durables. L’individu hypermoderne est une « personne ».

Cet individu a pourtant du mal à jongler avec ces nouvelles possibilités. Il est obligé d’aller chercher en lui, pour se dépasser, ne peut plus se cacher derrière les repères extérieurs ;  il en arrive à se créer un « sursoi », des personnalités multiples, par le biais d’internet par exemple selon l’analyse de Francis Jauréguiberry, ce qui lui permet d’échapper à la simple réalité de n’être que lui-même. La difficulté à gérer son identité, lui en fait créer d’autres, de se poser en spectateurs de lui-même, pour essayer de mieux se situer et s’expérimenter.

Jacqueline Barus-Michel opposent l’individu moderne, qui pense et élabore du sens, aspire à être un individu autonome à l’homme hypermoderne, qui n’aspire plus qu’à exister par la consommation permanente, calculer au lieu de penser, pour toujours satisfaire sa quête constante du plaisir, s’insécurisant, en faisant dépendre sa vie des technologies nouvelles, qu’on lui assène à force d’images et de slogans publicitaires. Eugène Rodriguez est du même avis et estime qu’il s’agit là, d’une forme de perversité, jouissance immédiate, rivalité, déconsidération généralisée, afin de se conformer au modèle social dominant.

Bernard Stiegler, lui,  pense que la perte d’individuation, de différenciation, conduit à une individuation collective, dont les marques produites par le marketing seraient le support. L’individu hypermoderne ne serait alors plus que « réactif » et ces individuations collectives étant éphémères, conduiraient à une désindividuation globale, le fragilisant en permanence et l’obligeant à adopter des comportements adaptatifs et non plus créatifs et singuliers.

Il s’agirait là, de la face la plus sombre de l’hypermodernité. Peut-on réduire cette analyse  à cette triste dimension ?

Bernard Cova, pour sa part, estime que les individus hypermodernes ne sont pas simplement adaptatifs et réactifs. En effet, ces individus sont capables de stratégies de résistance face au marketing agressif des grandes entreprises. Accompagné dans cette démarche intellectuelle par François Asher, qui montre que même si les liens sociaux sont moins « gros », ils sont bien plus nombreux et représentent pour l’individu un réseau tout aussi acceptable, voire plus riche et plus « élastique », le transformant en individu réunissant ubiquité et simultanéité,  parvenant à maîtriser leur espace temps de façon de plus en plus autonome. Cet individu stratège se différencie ainsi de celui qui l’a précédé, sans qu’on puisse y voir autre chose qu’une réelle mutation. De là à affirmer qu’elle est positive ou négative, quelques centaines d’années ne suffiront probablement pas à le déterminer aussi clairement.

L’idée majeure qui se dégagent des écrits de Claudine Haroche, est que la rapidité, la fluidité des évènements auxquels nous sommes soumis quotidiennement, transforme l’individu de telle façon, qu’il n’a plus le temps de donner de la profondeur à ce qu’il pense ou ressent : il devient donc un individu moderne dont l’identité, l’être et dont le sentiment même d’existence sont liés à un état d’ « humiliation ». La répétition constante de ces « attaques » externes, apparemment anodines, impactent de façon importante ce qu’il est profondément.

Il y aurait donc, désengagement, car on ne fait que réagir sans avoir le temps de penser, de créer, ce qui influerait en profondeur, de façon insidieuse, sur les rapports entre sensation, perception, conscience, réflexion, sentiments. On ne ferait plus la différence entre le réel et le virtuel, que les sens, tels que le toucher, ou l’olfaction seraient également influencés de façon très importante.

Les sociétés modernes n’ont de cesse que de s’adapter à la demande pour faire des économies de coûts en allant vers une satisfaction toujours plus rapide du consommateur. Elles éduquent ainsi l’individu à obtenir immédiatement ce qu’il souhaite ; il n’accepte plus aucune frustration lié au « je veux tout de suite », argumenté par Lasch, historien, intellectuel et critique social important de l’après-guerre aux Etats-Unis (2000), qui évoque l’individualisation et la perte de sentiments dans les sociétés narcissiques.

Dans ces sociétés, il y a perte, confusion, voire disparition des repères, ce que serait fragilisant, déstabilisant. Ceci n’est qu’hypothèse conjecturale, difficile à argumenter. Durkheim, sociologue français, 1858 – 1917, ainsi que Simmel, philosophe allemand, 1858 – 1918, ainsi qu’Elias, sociologue allemand 1897 – 1990 et Fromm, analyste allemand, 1900 – 1980 ouvrent un ensemble de questions.

L’interaction entre l’individu et la société oscille entre la continuité et la discontinuité, entre certitude et l’incertitude. Les frontière entre l’individu et la société n’est peut être pas aussi claire et définissable qu’on souhaiterait la déterminer. Simmel insistera sur  le lien social, son émergence, son maintien ou son déclin, sur les modèles de comportements et la façon dont ils structurent et influencent les sentiments.  Contrairement aux sociologues, il pense que la nature, la faiblesse ou l’intensité des attachements, la qualité des interactions dépendront de leur durée, et que c’est ainsi qu’il sera possible d’en mesurer la qualité. Ce sont les comportements, selon lui, qui induiraient les sentiments.

A la fin des années 80, Elias revient sur l’équilibre « nous-je », de l’alternance entre intégration et désintégration. Pourquoi rester sur l’idée d’opposition entre l’individu et les systèmes économiques modernes ? Il pense que l’individu peut contrôler ses affects, tandis que Fromm s’attachera, lui, plus à ce qui les déclenche à  ses doutes, ses peurs et au déclin de la spontanéité de ses élans. Il démontre qu’à la fin du moyen âge, les rapports entre les individus ont profondément changé, les liens qui les unissaient, personnels traditionnels d’individu à individu, il s’en est affranchi. On a donc alors, pu assister, à un processus qui a conduit l’individu à son isolement et à son impuissance : la liberté fera naître le doute et lui donnera un sentiment d’insécurité ; un sentiment problématique apparait alors, source d’angoisse : le sentiment du moi et la peur de le perdre.

Le doute qui fragilise l’individu est à la base de ses réflexions. Les modes de réaction à celui-ci peuvent être, l’autoritarisme ou la conformité compulsive.

L’autoritarisme permet à l’homme d’échapper à l’isolement et au sentiment d’impuissance, au désarroi provoqué par le monde moderne. L’autre mécanisme est le « conformisme ». C’est ce dernier mode de réaction qui permettra à l’individu de répondre aux besoins des sociétés industrielles avancées.

L’autoritarisme n’en est pas effacé pour autant, il apparait de façon insidieuse ; Gauchet, philosophe français et Kauffmann, sociologue français ont livré leurs observations sur les traits de caractères suivants : indifférence, détachement, désengagement, manque d’élan, absence de spontanéité, calcul permanent, instrumentalisation de soi et de l’autre, comportements fuyants et évitement.

Lasch explique que l’autoritarisme apparaît dans un certain type de personnalité au niveau de la famille : la famille éduque, fabrique un type de personnalité de caractère autoritaire. En effet, afin de s’adapter à un monde changeant, elle inculque des préceptes et des normes dans des liens qui n’engagent pas : la flexibilité dans l’éducation est devenue une nécessité absolue. La présence continuelle des « écrans » produit des effets de fragmentation du moi. Il n’est plus question de se « forger une personnalité », mais de se construire des identités multiples, faisables et défaisables à loisirs, et de devenir donc, un individu également « flexible ». La stabilité serait aujourd’hui, gage de « rigidité » et la flexibilité, d’ « adaptation ». L’idée de « carrière » a fait place au « job », qui par définition, est un bout, un morceau de quelque chose. Comment alors, préserver une notion de durée, de valeurs durables, dans une société qui ne s’intéresse qu’à l’immédiat ? Une personnalité irréfléchie est dans l’autoréflexivité permanente. On n’est plus dans la pensée intérieure, mais dans la possibilité de ne plus être entravé par rien : l’individu est « branché », mais distant. Il s’affirme non plus en s’impliquant, mais en se détachant.

Les boutiques changent, les têtes également, on n’a plus la possibilité de s’habituer, aucun lien, aucun environnement ne restent suffisamment constant pour devenir accueillant, tranquille et familier. L’éclatement des familles contribuent encore à cela. Les liens de la communauté sont devenus progressivement consommables, « périssables ». Les élites deviennent le modèle d’un comportement qui permet de se soustraire à cette communauté. Ce qui devient important est de ne plus gêner le flux des « marchandises » au mépris des « états d’âme », qui ne servent pas les intérêts financiers du marché.

L’individu est isolé et ne peut être réconforté, entraînant des effets psychologiques déstructurants sur sa personnalité. On existe avec la peur du lien, des autres.

Peut-on alors envisager une société sans affects, sans sentiments ? Dans un individualisme extrême, le « sentir » n’existerait plus et se confondrait avec la « sensation ». Interrogation qui reste au cœur de la problématique de l’individu hypermoderne.

Eugène Enriquez se demande si l’individu hypermoderne pourrait avoir comme référence un idéal type qui serait « l’individu pervers », jouissant sans entrave et à tout prix, ne penserait qu’à lui, développant un narcissisme aigu, utilisant l’autre comme un objet, en le soumettant à son propre désir et ne respectant que les institutions qui lui permettraient d’accéder à une telle jouissance.

L’individu hypermoderne ne serait donc que la conséquence, la concrétisation de l’individu moderne, issu du siècle des lumières et de la révolution française. Il s’est vu confronté aux classes ouvrières qui, en se rassemblant, ont obtenu des avantages sociaux : victoire du groupe contre l’individualisme. Il s’est également opposé aux états nations, nazi ou soviétique. Dans cette conception, l’individu fait tout pour l’état, mais pas l’inverse ; passant ensuite à l’état providence, faussement « démocratique », père, mère fantasmatique, qui souhaiterait favoriser le développement et le bonheur de tous.

Cette thèse est fortement contrée par certains, comme Lyotard, philosophe français (1924 – 1998), proposant d’appeler « sociétés postmodernes » ces sociétés qui auraient pour base de grandes notions telles que l’existence des grands récits : celui de l’émancipation humaine, du progrès, de l’importance de l’Etat ou de la religion comme lien social ou moral prépondérant.

Nicole Aubert, plus modérée, propose de différencier les sociétés, modernes, hypermodernes et post-modernes afin de déterminer si l’individu hypermoderne est effectivement un individu pervers, ne pensant qu’à sa propre jouissance.

Les sociétés contemporaines, plus fascinées encore que les sociétés de la modernité, par les technosciences, les progrès en biotechnologie et les avancées techniques de l’information  et des communications, laissant entrevoir un avenir engageant et inquiétant. On trouve la rationalité instrumentale à tous les postes, sauf à celui des gouvernants. La cybernétique que l’on pensait pouvoir appliquer au gouvernement et qui paraissait possible lors de l’avènement de cette science, a fini par faiblir. Les machines, les outils, l’économie (très « mathématisée ») en sont de plus dépendantes. Elle reviendra sur les notions de facteurs affectifs et inconscients, qui n’ont qu’une place limitée dans la pensée et les applications scientifiques. La dominance du mode de raisonnement instrumental sera reconsidérée, celui-ci pouvant être estimé être un des fondements de la perversion sociale.

On peut opposer des exemples contraires : 1er ex. : les caractéristiques de la modernité des villes actuelles, devenant de plus en plus  tentaculaires, ne font qu’augmenter et sont donc synonyme de développement, 2ème ex. : il y aurait rupture entre un capitalisme industriel qui tendrait à devenir financier : l’argent ne servirait pas qu’à produire, acquérir des marchandises, mais à produire également de l’argent. Les guerres deviennent économiques, moins coûteuse en vies humaines, mais plus en coût sociaux : stress, dépressions, chômage, inquiétude et angoisse face à un futur incertain. On a peur aujourd’hui, d’être « tué » psychiquement. L’homme producteur devient l’homme consommateur. La valeur « travail » n’a plus autant d’importance. Il n’est plus là pour intégrer, mais pour permettre d’obtenir un maximum de richesses de la façon la plus simple et facile possible. Les jeux tels que loto, tickets à gratter ou autres, laissent entrevoir la possibilité aux plus démunis d’accéder, eux aussi, à un pactole acquis facilement.

Les Etats laissent une liberté de leurs désirs, de plus en plus grande à l’individu, n’assurant qu’une réglementation sociale. Celui-ci a maintenant des droits psychiques, moraux (droit à la dignité), culturels. La sexualité peut s’assurer hors mariage, éventuellement entre individus du même sexe, ce qui était impensable, il y a environ une trentaine d’années. La religion n’a plus autant d’impact et un renouveau catholique émerge ; parallèlement, l’avènement de sectes, gourous divers font également leur apparition. Ces derniers gèrent les nouvelles angoisses en remplaçant les encadrements précédents. La nouveauté de ces dispositifs réassure le narcissisme des individus hypermodernes.

De nouveaux symboles deviennent sacrés : l’argent, par lequel on existe, le sexe, transformé en idole et imposant un modèle auquel chacun doit se soumettre sous peine de se sentir exclu ; la sécurité devient une exigence et assure la protection de tous les aléas de la vie ; la santé, qui, grâce à des médicaments « miracles », tout comme la chirurgie esthétique, fait entrevoir à l’individu une vie de jeunesse perpétuelle, sans souffrance.

Alors que choisir entre ces deux thèses : post modernité ou hypermodernité ? Peut-on même envisager une réponse définitive, claire et déterminée ?  L’auteure préfère ne pas opposer celles-ci et constater simplement la construction d’un monde où le désir individuel, appuyé sur un progrès technique et scientifique galopants, la solitude et le narcissisme qui en découle, devient prédominant par rapport à des valeurs collectives très intériorisées par chacun, se présentant sous forme de lois quasiment naturelles et qui guidaient alors facilement nos attitudes et nos conduites.

Pourtant, si les éléments ci-dessus penchent en majorité pour une hypothèse d’un individualisme tout puissant se délectant de jouissance, il pourrait paraître un peu léger de s’en tenir là et de s’attacher à la perversion et à ses caractéristiques.

Le pervers ne se désintéresserait pas de la loi, au contraire, car c’est elle qui sert de barrage à l’expression de son narcissisme total. Il est donc obligé d’en tenir compte. Deux sortes de pervers : le grand et le quelconque. Le grand pervers s’autoproclame « Dieu » et ne reconnait de loi, que la sienne, la loi des hommes n’est qu’une limite à sa toute puissance. Pour le pervers, la société est impalpable : il utilise les libertés que la société lui procure afin d’en profiter personnellement ; il invente « sa société », créant des organisations, des normes, des rituels, des procédures, minimisant ceux acceptés par le tout-venant. Il défie constamment la loi fondamentale structurant toute société, celle qui énonce une différence des sexes, des générations ; il ne pense qu’à la destruction de tout ce qui est considéré comme « sacré », a des compères mais pas d’amis : en effet ceux-ci pourraient se retourner contre lui au moindre signe de faiblesse. La longévité de l’instant ne l’intéresse pas, il vit dans l’éphémère, veut être riche sans travailler, éliminer les gênants en risquant le minimum, torturer ou tuer pour exprimer sa puissance ou son dégoût, se frotter aux drogues dures, alcool ou autre qui l’empêche de mesurer sa propre impuissance et calme sa propre angoisse existentielle. Il essaie de ressembler à ce qui lui semble être le modèle dominant. Le grand pervers peut parvenir à se surpasser dans tâches réputées difficiles, voire impossibles. La compétition, la rivalité et donc le plaisir égoïste subliment ; Nicole Aubert se pose la question de savoir si celles-ci sont plus favorables à la multiplication de « pervers quelconques » que de « grands pervers ». Harcèlement de chefs, violences de certains maris, pères : ces pervers-là ne sont que des caricatures du grand pervers. Il vit dans l’apparence mais n’est créateur de rien. Il souhaite la conformité et pas forcément l’exceptionnel. Ce serait donc ces derniers qui seraient en nombre grandissant.

Le pervers s’éloignerait de ce qui fait de lui un être humain. Il évite la réalité. Il se conforme au nouveau monde, relativiste, sceptique et cynique, car cela l’arrange, qu’il soit grand ou simple pervers.

A quoi bon se fatiguer à constamment s’adapter à un univers en mouvement constant ; puisque le monde n’a pas de mémoire, il colle à cette dimension, puisqu’il n’y a rien à attendre ; il n’a lui non plus, de mémoire. Il vit l’instant présent sans se préoccuper du passé, ou du futur. La réalité n’existe plus, sauf à travers quelques éléments de la vie quotidienne. L’essentiel n’est plus que la simple projection de sa pensée. Il ne voit plus le monde, sa réalité et la victoire de la rationalité instrumentale et les progrès des technosciences ne peuvent que  lui laisser croire qu’il est dans le vrai. Il est dans une pulsion de mort, et celle-ci peut accessoirement lui ôter la vie.

Le pervers se sert exclusivement de son regard, il veut rendre le monde transparent, sans être vu lui-même. Son regard est « parfait », il refuse l’ambivalence, l’ambigüité, cela l’obligerait à accepter que son regard n’a pas toute souveraineté. La société du regard renforce le côté pervers des individus, qui veulent, soit le maîtriser, soit le voir de façon irréelle. On peut tout voir, sans émotion, les massacres retransmis par voie télévisée ne génèrent plus d’émotion, la nudité physique, sociale et psychique deviennent mot d’ordre. Plus de protection pour l’individu qui doit être à nu et ne plus bénéficier d’aucune protection. Celui qui n’accepterait pas cette transparence, risque le rejet, voire suspecté de crime imaginaire. Les pervers les plus adroits tireront parfaitement profit de cette situation. La connaissance des autres leur permet de tirer partie des autres et de développer leur emprise sur eux pour leur faire faire ce qu’il veut. Jouant sur leur isolement, leur fatigue « d’être soi » et sachant qu’ils ne sont pas en mesure de se protéger tout seul. Le pervers ne considère les autres, ni comme rivaux, ennemis, plus comme indifférents ; s’ils disparaissent de sa vie, il n’en ressent aucune douleur, n’existant qu’à peine.

Ce mode de pensée et de conduite a pu se développer et dominer, parce que les surmoi et les idéaux collectifs (car partagés par le plus grand nombre) ont progressivement disparus. De nouveaux individus apparaissent sans surmoi, sans idéal du Moi, sauf ceux qui engendrent la rivalité : argent, sexe, sécurit, santé, et qui n’ont d’autre but que l’accomplissement de leurs désir, plaisir.

Oui, pour les grands pervers, on peut concevoir une telle caractérisation, mais pour les pervers quelconques, la pulsion les conduit davantage que la raison.

Alors pervers calculateurs, réagissant à des pulsions ? Difficile de donner une réponse simple.

Gunther Anders (1988), émet l’hypothèse que l’homme ne pourrait pas réaliser les dommages collatéraux engendrés par ses agissements. Est-ce qu’un militaire  qui ne veut détruire que des cibles précises ou un groupe de copains qui violent une jeune fille, peuvent-ils imaginer les dégâts psychiques causés ? Ils ont un objectif qui répond à un « ordre », et opèrent immédiatement et rapidement, sans analyser davantage. Peut-on être certains qu’ils le font en âme et conscience, alors qu’ils ne savent plus fonctionner autrement qu’en privilégiant le tout, tout de suite ?

Y-a-t-il donc des individus pervers ou des individus adoptant une position perverse en raison de l’évolution de la société vers la rivalité et la déconsidération généralisée ? Les dispositions paranoïaques ou obsessionnelles seraient-elles particulièrement sollicitées par le fonctionnement social ? Dans le régime nazi, les Allemands étaient-ils des hommes « structurellement pervers », désirant l’anéantissement des juifs, ou des fonctionnaires obéissants, rendus incapables de penser par eux-mêmes ?

Un doute tout de même, peut-on substituer une causalité sociologique à une causalité psychologique ? L’auteure propose de poursuivre sa réflexion en examinant d’autres processus sociaux, avec davantage de nuances.

Pour certains, comme Beck (1986), nous vivons dans une société du risque qui ne donne pas les mêmes possibilités à tous, et dans une société où la résistance existe et résonne quotidiennement.

On rencontre la violence directe partout : les stades, le dopage, la mise en esclavage de prostituées, femmes et enfants violentés, battus, accidents de la route, vols à main armée, et une violence plus insidieuse, comme le harcèlement, le stress au travail, de problèmes musculo-squelettiques des ouvriers, développés par le rendement exigé, peur de perdre son travail ; on ne fonctionne plus pour répondre à nos besoins propres, mais pour répondre à ceux que les organisations nous imposent, licenciements rapide sans considération de la fidélité de ceux qui ont apporté leur contribution pendant de nombreuses années à telle ou telle entreprise. Quelle que soit la forme de violence, la cause reste la même : l’individu n’est ni considéré, ni respecté. Il ne faut pas négliger non plus les catastrophes qui pourraient avoir lieu à tout instant, explosion d’usines nucléaires, diminution de la couche d’ozone, catastrophes maritimes, animaux malades, sida, maladies nosocomiales, amiantes etc, etc…. Tout cela fait effectivement de nos sociétés, des sociétés à risque.

Vivant dans une peur permanente, on peut comprendre que l’individu puisse se sentir persécuté, les moyens de communications modernes se chargeant de le lui rappeler les dangers qu’il courre, de façon continue. On lui avait promis un monde meilleur, et les promesses ne s’avèrent pas aussi réelles qu’elles auraient dues l’être.

F ace à cela, il y a deux sortes d’individus ; ceux qui de par leur environnement ne peuvent accéder à la culture, et donc, sortir d’un milieu difficile, et ceux qui, en raison de leur formation sociale ou leur appartenance à des classes favorisées, sont appris à s’adapter, à saisir l’occasion, à être mobiles dans la recherche d’un emploi. Les premiers se plaignent, en victimes tandis que les autres, appréciant leur adaptabilité, développent des tendances mégalo-maniaques, autoritaires ou charismatiques.

Les sociétés postmodernes ou hypermodernes produiraient donc en plus d’individus adoptant des conduites perverses, des individus à comportement paranoïaque ou mégalomaniaques. Il y aurait donc plusieurs modèles de référencement d’individus.

La résistance existe dans ces sociétés. En effet, l’homme souhaite toujours sortir « du lot », et oppose son individualité au collectif : on admire les héros, qui n’ont pas suivi le groupe, ont transgressé l’ordre. On peut également constater que si certains collectifs se sont « fourvoyés », d’autres sont en s’organisent : économie solidaire, taxe sur les produits financiers. A des niveaux locaux, des projets éducatifs, des projets novateurs dans l’économie, retissent le lien social distendu. Le « sens » interpelle encore, il représente, le vécu, le subjectif en même temps que la direction et la signification. On se remet à espérer, à croire à quelque chose de nouveau qui allierait l’humain à la rapidité d’évolution du progrès technologique. Tout comme Adorno, Nicole Aubert se rallie à l’idée qu’il faut faire confiance au petit contre le grand, car le petit est réfractaire à la domination et à un monde de la perversion qui ne nous offre qu’un univers désert.

2. L’individu dans l’excès et les pathologies de l’hypermodernité.

Portraits robots selon Jean Cournut (1929 – 2003). Le mot défoncé, adapté à l’univers de la toxicomanie, peut également s’appliquer aux individus hyperactifs, qui seraient, eux des « défonceurs », défonceurs d’eux-mêmes, avant de défoncer de façon chronique. Ils veulent toujours être devant et prennent toujours plus de risques. Hommes ou femmes, ils rebondissent toujours et sont relativement en forme, disposant d’un corps solide, allant toujours vers le trop, et il n’y aura jamais assez de trop.

A la limite de la boulimie, de la mythomanie, ils ont des certitudes sans être paranoïaques. Enthousiastes, sans être maniaques. Quand le défonceur craque, il échoue et perd l’estime de soi et des autres, d’où un effondrement psychique, somatique, social dont il était parvenu à se défendre. Il ressent alors une immense fatigue.

Plusieurs sortes de défonces : gratuite, tout seul chez soi, publique, compétition sportive, professionnelle, en équipe, en groupe, en famille, un pour tous, tous pour un, et la défonce au long cours, qui peut être très productive (La Chartreuse en six semaines, ou Balzac pendant trente ans).

  • Définition sociale de la défonce : Elle a toujours existé, autant dans les arènes avec les gladiateurs, ou les courses de chars, qu’aujourd’hui, aux 24 heures du mans ; elle s’avère dangereuse lorsqu’elle n’a plus lieu dans des lieux spécifiques et que la route est transformée en « terrain de jeu ». Cela dit, si la tentation d’accéder à la vitesse est si forte, c’est que nous avons les moyens de les mettre à exécution.
  • La fascination : virtuel, porno, biotechnologies qui clonent, fabriquent de la vie et font reculer la mort, circulation des drogues, violences en exergue, opposition de la famine et du prix du marché de l’art, pharmacologie qui tranquillise les excès mais peut aussi les réveiller (viagra). Ces moyens sont fascinants pour l’individu à la recherche du toujours plus, du candidat à la défonce.
  • Quelques interprétations : La commande sociale : exigeant toujours plus de productivité, le défoncé va donner à l’excès à l’entreprise, jusqu’à l’épuisement, voire la mort, et sera remplacé immédiatement. Le refus de la passivité : celui qui n’est pas actif, ne rentre pas dans le cadre exigé par la commande sociale. La féminité sera dévaluée en raison de sa non-productivité dans des sociétés machistes. Deuil et réparation : La perte d’un travail, comme celle d’un proche génère un deuil, que l’on tente de réparer : faillite frauduleuse du père, voire du grand-père (deuils transgénérationnels), décès d’une mère, au point de s’oublier soi-même. Conflit entre surmoi : tu ne dois pas et idéal du moi : tu dois, qui exige la réparation, vivre pour deux, toi et le mort. Il existe là encore une pression du groupal, famille, culture etc… Prouver sa capacité : il est essentiel de toujours prouver qu’on est « capable de » sous peine de jugement et de dévalorisation. La maîtrise : on doit prouver  qu’on est capable de tout maîtriser, comme dans la petite enfance, on a appris à maîtriser ses envies sphinctériennes, surveillé par la mère. Cette image maternelle est là, constante, supposée sans indulgence.
  • La puissance de l’existence : tous ces agissements tendent à prouver qu’on est vivant et puissant. Or, ces deux problématiques ne sont pas exactement superposables. La puissance est assimilée au « faire », vivre à « être » ; prouver que l’on existe engendre un climat narcissique. Le défoncé n’a de cesse de toujours prouvé qu’il existe en tant que sujet, prêt à tout, au mépris de sa vie, réel paradoxe. La question reste de savoir pourquoi ces moyens excessifs sont-ils dans l’agir et le comportement.
  • Faute d’élaboration psychique : le rêve, le fantasme ne pourraient-ils suffire ? Selon Freud, les excitations internes seraient pulsées vers le psychisme, alors que les externes seraient intériorisées. En fait, l’individu aurait tendance à reproduire des schémas plus qu’à se les rappeler, dans différencier le douloureux de l’heureux. Il s’agit d’une résistance à la mentalisation, d’où le comportement des défoncés. Une culture du comportement : ce qui va tout à fait dans le sens de la demande social : répéter, souvent, trop sans réfléchir : achats compulsifs, boulimies diverses, auxquelles on peut associer une « perte » du langage, sms, emails. La mère, l’enfant et le socius : une mère qui nourrit son enfant en regardant la télévision, ne sera pas aussi présente pour son enfant : désinvestissement. Et le corps : il subit les excès de ces défonces permanentes, destructeurs de soi et des autres.
  • La défonce par besoin et la défonce pour une cause : il s’agit de répondre  à un besoin ou de se défoncer pour une cause. Résultat identique pour des motivations différentes. Nicole Aubert estime que la majorité de nos comportements résultent des conditions environnementales et de la relation précoce mère-enfant, la mère étant déjà confrontée aux mêmes stimuli.

L’intensité de soi :

L’idée d’individu hypermoderne implique la notion d’augmentation, d’excès, d’intensité, chaque individu n’ayant pas les mêmes possibilités de « grandir ». Robert Castel (1996)  détermine deux sortes d’individus : ceux qui sont dans des cadres, dans des structures collectives, et ceux qui existent par défaut de cadres, à qui il manque les assises, les supports pour exister pleinement : famille, travail etc… Il parle alors de névroses du « trop » et de névroses du « vide ». Ces deux types de névroses se situent pour les premières, sur un registre professionnel alors que les secondes s’attachent plutôt à un registre plus large, personnel et professionnel. Dans le premier cas, il n’y a pas de quête de sens, on ne le recherche pas ou  on n’y a pas accès, dans le second, la quête de sens emplit l’individu à l’excès.

L’hyperfonctionnement de soi et la dépossession du sens

Il s’agit là de la constatation de l’adaptation de l’individu aux sollicitations de l’économie hypermoderne. L’énergie produite peut alors être « moteur », ou destructrice lorsqu’elle dépasse le potentiel humain. Il en arrive là pour repousser la « mort ». L’impression d’être vivant le porte haut et fort, générant une perte de la quête de sens et amenant à des pathologies diverses : infarctus, dépression, rupture d’anévrisme, cancer foudroyant etc…. L’individu hypermoderne en est arrivé à pensé : si je m’ennuie, je meurs, je dois donc être en action constante pour prouver que je suis, que j’existe. Nicole Aubert parle alors de pathologies de « surchauffe », comme d’un moteur trop sollicité, provoquant de gigantesques courts-circuits.

Richard Sennet (2000) relève l’impossibilité de maintenir des valeurs de long terme : fidélité, engagement, loyauté dans une société flexible qui ne s’intéresse qu’à l’immédiat, acquérant alors un caractère de plus en plus perturbé : double personnalité, hystérie, détérioration mentale et psychologique y incluant la notion de corrosion. De nouveaux antidépresseurs ont vu le jour qui permettent d’être à nouveau « efficaces » : on pallie aux problèmes par des progrès pharmaceutiques. Les dépressions d’épuisement n’incluent pas la tristesse, c’est l’environnement qui est responsable de leur apparition. Elles correspondent à la panne, signe de l’accélération que l’individu ne parvient plus à assumer.

La transcendance de soi comme stade suprême du narcissisme

Lorsqu’il y a quête de sens et qu’on y met toute son énergie. Certains systèmes politiques comme le système communiste et le système libéral, excessifs l’un et l’autre, le premier pensant incarner la modernité en décrétant que l’histoire avait un sens, le second ne comptant que sur la seule dynamique de la modernité : liberté, ouverture, progrès. Ce dernier aboutit à une « marchandisation » du sens, où seul consommer devient une « valeur » et qui est à l’inverse des valeurs d’épanouissement de l’homme et du resserrement du lien social.

La quête du sens sur le mode marchand :

La formule « Je vaux ce que je gagne et je gagne ce que je vaux » qui sont les propos d’un chef d’entreprise pour éclairer ce qu’était son objectif, est très parlante. Il a fait du « toujours plus » une valeur personnelle qui devient son identité sociale et son projet de vie.

La quête de sens sur un mode traditionnel « recyclé

D’autres, pour qui cette valeur est insuffisante, incluent la notion du religieux, qui se rapproche plus d’un bien-être individuel au quotidien que d’une meilleure vie dans l’au-delà. L’entreprise a tenté pour un temps de proposer aux individus de donner le meilleur d’eux-mêmes dans le sens d’un projet individuel et collectif. La réalité a montré qu’il s’agissait d’un trompe-l’œil et les générations de nouveaux diplômés ne sont plus intéressées par ce sens-là. Le sens a changé, s’est flexibilisé, privatisé. Chacun trouve son propre sens, ce qui demande une introspection afin d’aller de l’intérieur vers l’extérieur : rançon de sa liberté et cause de sa vulnérabilité.

La transcendance de soi

On ne recherche plus un sens dans les valeurs marchandes, dans des valeurs spirituelles dépassées, mais dans une transcendance de soi-même. Il s’agit là, d’accéder à un dépassement de soi au sens de l’Etre. Le préfixe trans signifie en effet à travers et au-delà, cette ambivalence fait référence à l’extériorité et à l’autodépassement, on recherche Dieu en soi, il se confond avec nous-mêmes, atteignant le stade suprême du narcissisme. Les sports extrêmes permettent d’atteindre cette sensation de « toute puissance » où « la limite physique vient remplacer les limites de sens que ne donne plus l’ordre social » (David Le Breton – 2000). Cette quête du dépassement se retrouve au quotidien, chez la mère de famille qui se surajoute toujours plus de tâches, devenant angoissée lorsqu’elle arrive aux limites de ce qu’elle avait prévue, peur d’arriver à la fin. En repoussant le but toujours plus loin, on est en quête d’un absolu de soi-même qui frôle en permanence avec la mort. Il s’agit de la forme moderne de la transcendance. David Douillet a exprimé la douleur du vide après son premier titre à Atlanta en 1996. La Marseillaise lui a fait prendre conscience qu’il était allé au bout, au bout de tout et il s’est retrouvé face à un trou béant.

L’auteure préfère la notion d’individualisme excessif plutôt que celui d’individualisme négatif (Robert Castel), appuyant davantage sur le « trop » que sur le « manque » de repères, de sécurité etc…. Contrairement au sens premiers du mot… « sens » qui signifiait à la fois la raison et marcher, voire, compagnon de route, le sens moderne implique que l’on est, que l’on devient son propre compagnon de route.

Jacques Rhéaume évoque le film « les invasions barbares »  où symboliquement, L’union de l’argent et de la drogue, symbole de défonce, peuvent avoir des effets positifs.  Nicole Aubert estime, quant à elle, que l’hyperactivité au travail peut prendre plusieurs formes : acceptation de surcharges de travail, dispersion dans de nombreuses activités, en s’insérant dans un groupe qui exercent le même métier, l’idéal est partagé dans le milieu du travail. On peut considérer cette hyperactivité comme d’une stratégie défensive. Bien sûr, le travail est une source de construction identitaire. En effet, on agit à plusieurs dans un but précis : production d’une œuvre, développement de services en aide à l’autre. Quelque soit la production effectuée, elle finira inlassablement sur le marché de la consommation. On identifie alors la complexité de ce processus de travail qui bien que source identitaire, peut avoir des effets destructeurs si on en arrive à l’hyperactivité. Hyper signifie trop. Dans le travail, on peut faire plus d’heures dans le temps ou plus de tâches dans le même temps. Cela peut être imposé à l’individu, accepté, décidé en connaissance de cause, car elle devient source de fierté et signe de performance, qu’elle soit exigée par l’organisation, imposée sans cadre précis ; il y a superposition de la personnalité et de l’investissement subjectif au travail. Exigence et liberté se conjuguent, élargissant le flou de la part d’autonomie de l’individu hypermoderne. Le type de société hypermoderne ou hyperindustrielle repose sur une hyperactivité exemplaire dont l’économie type est le néoproductivisme.

Le modèle néoproductiviste est la synthèse d’un néolibéralisme (libre-échange) et de néotaylorisme (le productivisme optimal), ce qu’on appelle la mondialisation d’où émerge le paradoxe de l’émergence croissante de richesses et de l’augmentation des inégalités.

Le productivisme optimal est assuré par le contrôle total de la chaîne de travail, assurant le moins de pertes possibles et un rendement maximal. Les travailleurs doivent être polyvalents et amener des idées d’amélioration afin de toujours optimiser la production. Il s’agit alors de gérer intelligences rationnelle et émotionnelle.

Certains analystes prévoient trois groupes également répartis : entreprises et industries en plein essor, source de jouissance au début en tous cas, services publics, exclus  (chômeurs, marginaux etc…).

En même temps, le trop correspond à une demande de l’individu, cela le mène vers une quête existentielle. Il s’agirait pour lui, d’osciller en permanence entre un rêve idéal tout en sachant se limiter pour ne pas l’atteindre, d’atteindre le POUVOIR sur soi. L’hyperactivité au travail peut être amplifiée par les troubles de la personnalité et aboutir à  une quête permanente de confirmation sociale et d’un culte de l’image de soi (moi idéal)

Une vision idéalisée d’un projet de vie ou de travail, une perfection constante de soi, de son environnement, avec des bases humaines déstructurées, conduisent à cette hyperactivité, stratégie défensive de métier et à des souffrances au travail.

On réduit les coûts, les effectifs et la charge de travail augmente, accentuant une pression entre humains, libérant rivalité, compétition et individualisme. Les usagers eux, souhaitent toujours plus et mieux. Pris entre deux feux et s’éloignant de l’image d’un créateur, le travailleur se rend hyperactif pour sauver son métier et évite de réagir devant les incohérences vécues en s’activant toujours davantage. Narcissisme pathologique, socialement produit, qui a fait l’objet de travaux relatifs à la société américaine entre 1970 et 1980.

Une culture narcissique induit une individualité personnelle plus saine, plus autonome tout en devenant source d’une idéologie de l’individualisme exacerbé, pour éviter de voir le vide qui accompagne une logique dominante, celle de la raison instrumentale.

La psychanalyse tient compte de ces mutations. Que signifie ce trop ? Comment peut-on être « trop » moderne ? Moderne par rapport à ancien, alors hypermoderne qui marque une sur-coupure ou seraient-ce la qualité ou la quantité qui déterminerait cet hypermodernisme ?  On entend « ça change », « ce n’est plus comme avant » ; ce sera le point de départ de l’étude de Nicole Aubert. Le discours, par l’imaginaire social, est un discours de la démesure, en accord avec le sujet traité de l’individu hypermoderne.

Elle note l’apparition d’une certaine « nervosité » collective. L’individu vit au-dessus de ses moyens psychiques, rançon du progrès et d’une activité incessante. Selon l’époque, on entend « neurasthénie », « dépression » ou « stress ». Alors peut-on parler de nervosité hypermoderne, d’une hypernervosité et pourquoi pas hyperneurasthénie ? Pour elle, la modernité se caractérise par sa sensibilité à un symptôme de la culture par opposition à la tradition qui méconnait son anomie. Entre les marginaux pervers et homosexuels, les préjudices infligés à la vie amoureuse de la femme et les modifications de la cellule familiale, recompositions, pacs etc….., il est nécessaire d’accepter ces différences sans tomber dans l’excessif de l’époque du « tout permis », n’importe comment, au prétexte qu’elle est créatrice de neuf. Elle évoque Freud, qui faisant un parallèle entre le complexe d’Oedipe et la structure du lien social implique le lien familial qui serait à la base des névroses de l’homme hypermoderne et non pas l’idée d’une pulsion sociale.  On ne peut échapper au malaise hypermoderne. L’état de guerre permet de dévier l’agressivité vers l’extérieur de temps à autre. Que faire de l’agressivité en temps de paix ?

Le terme « hypermoderne » implique le collectif ; hyper marque le surenchérissement et moderne la notion d’utilité : montée et chute de s’excitation et chaque époque cherche à en diversifier les manifestations et les antidotes ; il devient nécessaire de « jouir » du malaise, en alliant peur et jouissance. L’excès viendrait de la différence « comptable » entre l’excès de jouissance par rapport au désir. Le masochisme en évolution et toutes les déviances qu’il implique fait apparaître une idéologie de résilience où il est suggéré aux sujets d’aimer leurs traumas, de s’arranger pour en jouir, les allégeant de leur culpabilité et d’être quittes de leur désir.

3. L’individu « par défaut » et les contradictions de l’hypermodernité

Selon Robert Castel,  nous existons de plus en plus individuellement mais deux sortes d’individus modernes existeraient, le « responsable » avec des souhaits d’indépendances et l’autre, qui se veut désengagé, ne pensant qu’à son auto-accomplissement. Rejoint par Nicole Aubert, qui utilise la métaphore de la « cave », précisant que l’édifice peut être flamboyant, mais que les supports, les fondations peuvent comporter des trous et qu’il conviendrait d’ajouter d’autres supports pour maintenir cette nouvelle construction, plus en adéquation avec l’ancien. Elle part de l’idée qu’il y a individus et individus : l’esclave, le serf, le prolétaire ne pouvaient prendre de décisions, non tenus pour responsables de leurs actes : l’Abbé Sieyès qualifiait ceux-ci d’instruments bipèdes sans liberté et sans moralité. En effet pour être un individu, il est nécessaire d’être considéré et posséder des ressources objectives. Ceux qui manquent des supports objectifs mais nécessite d’être supportés, elle les appelle « individus par défaut ». Elle propose l’idée de deux sortes d’individus et celle des « individus par défaut ». Il existe les individus qui « possèdent », facilitant leur insertion dans la vie sociale, les individus qui ne possèdent rien et qui ne sont rien socialement parlant mais qui disposent d’un nouveau support, la propriété « sociale » : ensemble de ressources et de droits construits à partir du travail, pouvant assurer l’indépendance sociale des non-propriétaires.

La propriété donne un statut, des droits et de la considération (ouvrages du XIXème siècle). Pour la propriété sociale, la retraite permet de rester « indépendant » et membre à part entière de la société. Elle succède à la propriété privée, s’y ajoute sans la remplacer, la propriété privée sert toujours de support à l’individu moderne. S’appuyant sur un ouvrage de Tocqueville « De la démocratie en Amérique », elle met l’accent qu’une société moderne permet à l’individu d’être autosuffisant et qu’ils disposent eux-mêmes des supports nécessaires pour assurer leur indépendance. Ce profil d’individu apparait dans les années 70 en Europe occidentale et en Amérique du Nord, lié, selon elle, à un certain niveau de développement économique et social. La crise oppose donc des « individus par excès » aux « individus par défaut » et la différence s’accentue depuis une trentaine d’années. La propriété sociale fait défaut sur la durée et la composante de la société hypermoderne engendre des individus déstabilisés, autant sur le plan économique que psychique. L’auteure précise que son analyse est très partielle, se limitant au socle de ressources.

Vincent de Gaulejac, quant à lui, se pose la question suivante : « Qu’advient-il des individus qui ne parviennent pas à se réaliser ? ». La conquête d’autonomie s’effectue après avoir accepté les « cadres ». L’individu doit se singulariser tout en acceptant d’entre dans des moules de socialisation conformes, appartenir à un groupe et en même temps sortir de l’ordinaire afin de se réaliser. Il devient responsable de sa réussite ou de son échec. Condamné à réussir sans fin, il s’épuise, répondant à une exigence de réussite et non pas à une condamnation de tribunal. Les désirs mégalomaniaques inconscients sont rejoints par cette exigence qui s’intériorise comme un absolu. La perfection n’étant pas atteignable, il s’angoisse et échoue au lieu de réussir et développe les pathologies de l’hypermodernité décrites plus avant.

Peut-on se socialiser durablement tout en étant flexible, mobile et adaptable ? L’identité se construit sur des choix plus que sur des acquis, à renouveler en permanence puisque places et statuts ne sont plus définitifs.

L’histoire de Richard Durn, tueur de huit conseillers municipaux à Nanterre illustre parfaitement cela. En effet, un parcours scolaire plutôt élogieux jusqu’à la maîtrise, ensuite une stagnation et une régression, n’ayant pas un modèle de famille classique, famille monoparentale, il ne parvient pas à créer la famille qu’il souhaiterait, obtenir l’emploi désiré et d’échecs en échecs en vient à vouloir détruire les modèles auxquels il souhaitait ressembler, car mourir seul ne servirait à rien : il obtient ainsi une compensation à ses échecs. L’envieux humilié détruit ceux qu’il pense responsables et qui n’ont pas su le repérer et l’intégrer. Les représentants de la ville où il ne parvient pas à se faire reconnaître doivent donc payer. Tuer est synonyme pour lui de jouir, au moins une fois pour avoir le sentiment d’être quelqu’un. Responsable totalement de ses actes sur le plan juridique, il n’en est pas moins l’expression de la violence de la lutte des places caractérisant nos sociétés hypermodernes. Et bien que Richard Durn n’ait pas manqué des supports objectifs pour accéder à l’autonomie, il symbolise l’absence totale d’estime de soi l’amenant à cette tragique action.

La reconnaissance est de plus en plus indispensable à l’individu à qui on demande une autonomie de plus en plus grande. Hegel classifie la reconnaissance sous trois formes : reconnaissance juridique, reconnaissance dans l’amour, reconnaissance sociale auxquelles il ajoute la reconnaissance cognitive, qui par ses réflexions et sa connaissance peut agir sur le monde comme sur lui-même. Richard Durn possédait à priori la majorité de ses reconnaissances, à part une faille : l’absence du père et le sentiment de ne pas être aimé : ce sera l’épine qui provoquera le drame. Axel Honneth insiste sur le rapport entre la fragilité d’un individu, les situations sociales qu’il vit et les effets psychiques de ces situations. Le délit de reconnaissance a une double face : celle qui dénie, celle qui est déniée. C’est en tuant, que Durn a cherché la reconnaissance qu’il n’a pas obtenue.

L’individu hypermoderne pour vivre dans un monde instable et agité, cherche à intégrer des groupes divers, qui le rassurent : sectes, tribus. En lutte constante pour être le meilleur partout, il est confronté à l’angoisse d’être soi, à l’insécurité, à la solitude et à la désespérance.

Pourtant même si ce monde semble barbare, c’est aussi lui qui permet d’être libre. Amour de soi sans tomber dans le narcissisme, « être » sans « être rien », concepts entre lesquels nous ne finirons pas de balancer…

4. Les nouveaux modes d’expression de la quête identitaire

Pour Michel Maffesoli, la métaphore de la tribu fait partie des mots les moins faux possible pour caractériser un tribalisme postmoderne mettant l’accent sur ses aspects archaïques et juvéniles.

L’archaïsme ferait un retour en force, ce qui gêne de nombreux observateurs sociaux. En effet, comment accepter la succession de deux élans contraires, progrès linéaire et « régrès » et trouver un mot juste pour le caractériser ? Nicole Aubert propose « ingrès » : de « entrer (in-gresso) sans progresser (pro-gresso) ». Les tribus contemporaines préfèrent jouir du plaisir d’être ensemble sans se préoccuper de buts à atteindre. Le retour aux produits naturels, aux senteurs, à la peau, à tout ce qui rappelle l’animal, l’humain nourrit ce vitalisme, archaïsme et vitalité, paradoxe essentiel de la postmodernité. Certains des détracteurs de l’auteur confèrent l’authenticité de ce tribalisme en le cantonnant à la classe des adolescents, ce qui pour elle est une façon de dénier le changement de paradigmes profond qui s’opère. Des individus qui se rassureraient par un sentiment de fraternité, sur toute une durée de vie, un enfant éternel qui prendrait en compte l’autre pour ce qu’il est, la vie sans finalité ni emploi, la vie tout court. Il s’agit d’atteindre le « paradis » ou la « société parfaite » en adulte non pas fort et rationnel, mais en enfant éternel, qui réaffirme une fidélité à ce qu’il est, ce qui ne veut pas dire acceptation d’un statu quo politique, économique ou social. Appartenir à une tribu redonne de l’importance au sentiment d’appartenance à un lieu, un groupe, comme fondement essentiel de toute vie sociale. Un idéal communautaire qui met l’accent sur l’ouverture, le dynamisme, l’altérité, la soif de l’infini.

Le tribalisme est effectivement « révolutionnaire » face aux « institutions », mais force est de constater que ce qui dure est stable, consistant et mérite attention. L’identification primaire est au cœur d’un tribalisme postmoderne et proche de l’humus. Habitués à la mécanique de la société, réintégrer le tribalisme provoque la peur du retour à la « barbarie » et suscite le catastrophisme environnant. Un idéal communautaire serait-il plus nocif qu’un idéal sociétaire ? Il est, en tous cas, à la source de relations humaines indispensables à toute évolution normale. Les choses elles-mêmes nous apprennent ce qu’elles sont. Prendre le contre-pied des pensées  conformes est difficile, oublier les certitudes établies ne se fera pas sans effort, le jeu en vaut la chandelle : la vie continue et les tribus contemporaines la prennent en charge.

Les internautes peuvent emprunter des identités multiples le temps de quelques heures et ce sont ces identités que l’auteure qualifie de « sur-soi » des internautes, qui souhaitent être reconnus en tant que « communiquants ». Comme les enfants on joue à faire semblant, on fait « comme si », ce qui permet de construire son moi en testant différents soi sociaux. Ce qui est naturel au moment de la construction du moi de l’enfant n’a pas les même conséquences pour un adulte : il n’encourt aucune sanction et il endosse souvent des personnalités qu’il serait incapable de tenir dans la réalité. Cela lui permet de se re-créer et de s’offrir une récréation en jouant à être ce qu’il veut. Deux conséquences peuvent découler de cela : l’enfermement virtuel qui conduit à ne plus assumer qui on est, on quitte un moi propre pour s’évader dans un sur-soi gratifiant. Le risque est de se laisser dépasser par une valorisation obtenue nulle part ailleurs et de tomber dans un phénomène de dépendance à internet. Le web remplace les effets du vin et du haschich comme moyens de multiplication de son individualité. Cette compulsion fait intervenir les notions de désir et de culpabilité entre lesquelles balance l’internaute accro.

L’enfermement réticulaire : en adhérant à des tribus virtuelles, l’individu recherche la fusion dans un ensemble communautaire. Ici, c’est plus le désir de communion que l’instauration de véritables débats qui est demandé. L’appartenance au cybergroupe rassure et rassure sur une identité partagée. Il a l’impression d’être indispensable.  Pourtant ils ne font que s’identifier à un groupe et perdent par là même, l’individualité nécessaire à l’identité propre.

L’ouverture identitaire permet, quant à elle d’ouvrir l’individu à une extension de son moi ; il entrevoit des possibilités dont il n’aurait pas eu idée ; il peut ainsi mieux se situer, mieux se penser, mieux s’expérimenter dans sa capacité créatrice. Le je et le moi s’en trouvent renforcé.

Les interrogations existentielles de quelques intellectuels de la fin du XIXème siècle sont devenues celles de l’homme ordinaire de la fin du XXème. L’hypermodernité est donc l’extension de ce que la modernité offrait déjà il y a un siècle : mouvement, choix. On peut s’observer et s’adapter.

Internet est donc à double tranchant, l’individu peut s’y perdre ou en acceptant ses limites, trouver un cadre à sa créativité.

5. Le consommateur hypermoderne

Le corps a toujours fait l’objet de soins divers, prenant aujourd’hui une grande ampleur : 60 % d’augmentation en sept ans. Il ne s’agit pas uniquement de recherche du plaisir, de recherche d’authenticité. En effet, on colle à la modernité en utilisant les bienfaits de la science pour un remodelage du corps.

Importance du corps pour les hommes de notre siècle, il a longtemps été considéré comme un fardeau, l’âme étant, elle, noble. Au fil du temps, le corps a tour à tour été ignoré, caché, exposé, dénudé. Il est un objet sur lequel on peut inscrire son identité. Des années 60 où apparaît un corps androgyne, on arrive aux années 80 où le corps se doit d’être musclé par une gymnastique intensive. Les années 90 permettent d’arriver à un résultat parfait sans plus faire d’efforts. La prise en charge du corps devient médicalisée : on agit sur l’intérieur et l’extérieur pour obtenir le corps parfait. Des magazines comme « psychologies » embellissent également l’âme. S’agit-il de narcissisme ou de se respecter et de respecter les autres en leur offrant une image contrôlée, maîtrisée ? Paradoxalement, on ne se sert plus de son corps pour des tâches physiques difficiles, la science a mis à notre portée des machines qui nous remplacent pour ça. Corps utile ou inutile ? Au moment où il perd sa valeur fonctionnelle, il prend toute sa valeur de signe, d’image. L’individu se détache de son corps, il l’observe, en prend soin mais peut l’ignorer lors d’un dialogue entre internautes. On peut changer de corps sur le net en en inventant un autre, des autres, voire changer d’identité sexuelle.

Le corps a toujours eu de l’importance dans l’ordre social. Il est donc important de l’entretenir, de le maîtriser. Il a été modélisé, enfermant l’individu dans de nouvelles normes, qui vont exercer un contrôle sur les perceptions et les actions des individus. Maîtriser son alimentation permettra de répondre à la demande sociale et médicale. Ce contrôle prend une importance considérable, le corps étant considéré comme le reflet de l’âme. On ne s’entretient pas revient à dire qu’on laisse aller son âme  dans le même état et traduit donc un manque de caractère.

Pour Joy et Venkatesh (1994), le corps et l’esprit ne font qu’un, ce que revendiquent les postmodernes.  Thompson et Hirschman (1995) estiment que les individus se redéfinissent constamment, changent d’apparence selon le lieu, le groupe grâce à la consommation qui le leur permet. L’individu postmoderne est censé se trouver au-dessus de toute contrainte de culture, des liens de l’histoire et de la réalité matérielle du corps. L’auteure rejoint cette idée et affirme qu’en prenant le corps pour objet, nous consommerons toujours davantage pour lui donner la meilleure apparence possible.

Elle examinera la publicité parue en 2003 dans des magazines féminins,  relative à un certain nombre de produits pour le corps. On retrouve souvent le côté nature, retour aux sources, concomitant aux informations scientifiques, parascientifiques, signe de modernité, relatives aux résultats et à l’efficacité des produits corporels. Les soins s’inscrivent dans des programmes. Le consommateur fait confiance à la science et aux marques quant à leurs promesses. Il apprécie la nouveauté dans ce domaine, car elle constitue toujours la condition de la jouissance.

Le progrès existe donc toujours, sous d’autres formes que des grandes idéologies, la science par exemple représente effectivement l’accessibilité à un avenir meilleur. Le corps ainsi devenu objet voudrait-il dire que le principe d’humanité n’a plus cours ? Les publicitaires ont simplement omis d’inclure dans leurs métarécits, le collectif, portant ainsi individu et science à exacerbation, signes fondateurs de l’hypermodernité.

Hyperconsommation : la notion d’usage n’est plus unique depuis les années 60. On achète un produit pour son image, le sens qu’il porte. Aujourd’hui, on consomme pour exister alors qu’auparavant la question essentielle était : « doit-on vivre pour travailler ou travailler pour vivre ? » elle est passée à  « doit-on vivre pour consommer ou consommer pour vivre ? ». La consommation permet de construire une identité souvent en perte de repères, divorces, éclatement de la famille, mobilité etc….. Faire ses courses devient une véritable aventure : on découvre de nouveaux produits, on fait de nouvelles expériences en termes de textures, d’odeurs, de couleurs. On finit par préférer les copies aux originaux. Les « centers parks » sont un exemple frappant d’une re-création de lieux naturels, dont on peut profiter à loisirs sans contraintes de météo ou de saisons. Les consommateurs préfèreraient l’expérience simulée à la réalité. A condition qu’elle ne devienne pas excessive, ne laissant plus au consommateur d’autre choix que de passer d’acteur à spectateur, le submergeant de sensation où on ne lui demande plus que de ressentir et  consommer. On désapproprie de son quotidien le consommateur en le dépossédant de ses souvenirs, en transformant ses anciens lieux de vie en nouveau quartiers structurés, en lui imposant des zones identiques où qu’il aille et où il ne retrouve plus son individualité.

Il devient indispensable de se réapproprier les choses ; l’appropriation de l’espace correspond à la délimitation d’un chez soi. La possession d’un espace en active également la préservation et implique éventuellement un combat de défense. La façon de consommer ses vacances est un exemple d’appropriation d’expérience par l’individu hypermoderne ; bien qu’on lui propose des activités tout en un, 70 % des gens avouent ne rien faire et de profiter de ce temps pour s’inventer leur propre emploi du temps, plutôt que s’étourdir à tout prix dans des activités différentes mais épuisantes. Il sait opposer la résistance nécessaire quand il se sent trop sollicité et saurait choisir son niveau  de duperie, se sachant manipulé, afin d’agrémenter son quotidien.

Les lieux de vie sont interchangeables : on peut manger dans le train, prendre sa douche au bureau, se faire envoyer un document depuis son domicile et boire un café chez son coiffeur. Un monde fluide, qui promet expériences diverses et qui apparait à l’individu hypermoderne comme une valeur à rechercher. Confronté à des limites environnementales, sociales, le sujet hypermoderne peut envisager de « revenir en arrière » ou de consommer tout simplement moins afin de préserver son environnement.

Nicole Aubert envisage un quotidien durable qui privilégierait « l’accès à », plutôt que « posséder », chaque arrêt étant équipé et le sujet « nomade » n’ayant pas à se préoccuper de bagages ou de questions logistiques. En proposant des ateliers alimentaires, des magasins à tout faire, des clubs de la connectivité, des agences de la mobilité, des laboratoires de l’énergie ou des serres microclimatiques, l’individu hypermoderne aurait à sa portée un équipement qu’il serait amené à partager, passant de la maison individuelle à une maison étendue, protégeant les biens communs environnementaux existants. Un réseau local permettrait à un ensemble de personnes de s’entraider dans des domaines divers, générant ou régénérant le bien commun qu’est la qualité sociale.

Il s’agit ici d’un scénario qui a vu le jour à la suite de certaines recherches internationales et par un programme de workshops de projet sur le thème du quotidien durable. L’avis d’usagers internationaux a été requis afin d’obtenir une base d’informations au sujet de son acceptabilité et des suites qui pourraient lui être données.

6. La société hypermoderne.

La recherche de l’auteure était en introduisant la notion d’hypermodernité, le désir de différencier celle-ci de la postmodernité. Elle imaginait qu’un changement qualitatif majeur se produisait dans le monde capitaliste développé, affectant l’économique, les rapports sociaux et la psychologie des individus. Alors, effet de mode ou liaisons conceptuelles authentiques ? En ressort, en tous cas, une véritable théorie.

Les individus n’agiraient plus sous des pressions diverses mais en liaison entre le système économique et politique du pouvoir de l’organisation, qui leur laisserait un marge de manœuvres pour assurer la gestion d’opérations complexes ; chacun des sous-systèmes renforçant l’autre. Attribuant à ce type de liaison la dénomination de système social-mental, elle l’étend à une liaison entre système socio-économique et au système psychique des liens inconscients aux institutions.

Elle évoque l’hypothèse d’une régression psychologique inconsciente collective, elle-même composée d’investissements psychiques individuels au sens de la psychanalyse.  Cette hypothèse permet le mouvement du psychique vers le social et vice-versa. Cette régression implique simplement la mobilisation des strates profondes de l’inconscient dans une nouvelle configuration, de manière temporaire ou durable.

Contradictions démocratiques : en principe, la démocratie se définit par le droit des citoyens de choisir les règles qui régissent la cité. L’hypothèse d’une dépendance collective inconsciente aux institutions sociales vient contrer cette liberté de choix. On remplacerait un tyran par un autre. La révolution française a fait naître le culte de la Nation en remplacement de celui du Roi. Le prix de la terreur révolutionnaire et contre-révolutionnaire sera suivi par des guerres de masse (guerres napoléoniennes). Elles se feront au nom de la Patrie. Les gouvernements seront incapables de les prévenir ou de les faire cesser.

La société hypermoderne est née de cet éclatement, s’enrichissant de droits démocratiques, et de possibilités d’expression et de communication, économiques et culturelles. Parallèlement, l’image se met à régner, l’émotion primaire s’installe.

Violences politique et urbaine sont différentes. Le but de la violence politique est de défendre ou changer les institutions politiques, sous forme de guerres, révolutions, génocides, terrorisme, contre-terrorisme : il s’agit ici d’état crisique, affectant l’ensemble du corps social. On constate aujourd’hui, le déclin des Etats Nations et la montée en puissance de nombreuses organisations, économiques, politiques, terroristes, maffieuses. Les alliances d’hier deviennent suspectes. Tout changement est générateur de violence : il est réponse à l’impuissance de la société à s’autoréguler, à s’adapter et on peut alors parler de pathologie sociale.

Il n’est pas question de faire de négativisme. Bien sûr les changements s’accompagnent de violences, mais la trame de fond ne s’effondre pas pour autant et la société contemporaine reste pénétrée de subjectivité, de relation, de solidarité, chaque acteur restant responsable individuellement ou collectivement.

Sans chercher à sataniser le capitalisme avancé, la mondialisation ou l’altermondialisation, il s’agit d’apprendre à maîtriser notre avancée galopante des technologies dans tous les domaines, de les réguler et les cadrer dans un monde en mouvement perpétuel.

L’hypermodernité est-elle alors un dépassement ou une perversion de la modernité ? Jacqueline Barus-Michel estime qu’il s’agit d’une fiction, il s’agirait d’abandonner la pensée pour l’image. L’homme moderne est un homme qui pense et aspire à devenir autonome, en conscience de soi. Il s’est senti trahi par la non-tenue des promesses idylliques de mouvements utopistes, communisme entre-autre.

L’hypermodernité a pris la suite de cette modernité. L’économique a pris le pas sur le politique, la sensation sur le sens, l’image sur la pensée, emballement de la modernité avec une inversion des idéaux et des moyens dès la fin de la guerre de 1940. Les communications, la spéculation, l’exploitation inconsidérée de l’environnement, l’affaiblissement du religieux et de l’idéologique ont marqué ce passage. L’hypermodernité  serait proche de déshumanisation alors que l’homme hypermoderne n’a de cesse de se fabriquer lui-même grâce aux technologies de pointes, dans un désir narcissique et pervers. Existe-t-il vraiment d’ailleurs ? N’est-il pas une image à laquelle nous tentons de nous identifier ? L’homme moderne était un principe, l’homme hypermoderne un modèle proposé, imposé, à qui l’on doit ressembler sans se poser de questions, fiction donc.

Une société de l’image ou on n’existe que si on parvient à être « vu » des autres et donc prouver qu’on existe. Cet individu hypermoderne serait donc, selon l’auteure, un mythe, qui se réfugie dans un confort facile, jouissant sans fin de consommer, niant la réalité et ne permettant plus de penser.

On va jusqu’à se croire invincible puisque le rêve moderne donne accès à tout, on exige tout et tout de suite. La pensée elle, a besoin de temps pour s’élaborer. C’est à l’homme de produire du sens puisqu’on ne lui en propose plus et de continuer à faire des choix, conditions de notre liberté.

L’homme qui profiterait de la situation plutôt que construire du sens, celui-là s’accepte hypermoderne, refuse de penser. L’homme moderne tient bon : il poursuit sa réflexion sur le sens. Impuissants à réagir au système qui leur proposent de consommer sans qu’ils puissent le faire, les démunis  trébuchent.

Penser et donner du sens, c’est à l’école qu’il faut commencer par l’apprendre.

Bernard Stiegler indique que la modernité pour lui, est caractéristique de la société industrielle. L’homme est devenu le « servant » de la machine, entraînant une perte d’individuation.

Les définitions Heideggérienne et Marxienne de la modernité sont complémentaires à celle de Nicole Aubert. Elles définissent une société où le calcul devient roi et où la nature est dominée par la technique. C’est l’industrialisation qui a concrétisé comme fait historique décisif, installant alors une époque, faisant obstacle au processus d’individuation, la modernité selon Simondon, concrétisée par un nouveau type d’individu : l’individu technique Il devient le servant ou l’ensembliste de la machine, ce qui est un premier élément de réponse général à ce que l’auteure envisageait comme un individu égaré entre le « je » et le « nous » et qui serait, en fait, au stade hypermoderne de l’individu contemporain.

Elle évoque la grammatisation, (transformation mnémotechnique du rapport au langage), processus découlant de la perte d’individuations  et par un processus de colonisation qui repose sur l’aliénation des esprits des colonisés. Techniques et mnémotechniques évoluent avec le temps, les secondes évoluent plus lentement jusqu’à ce que les techniques de l’information influent lentement sur les 1ères. Il s’agirait alors de ce qu’on pourrait appeler l’hyper-industrialisation.

L’individu a été progressivement désindividué par la machine ; il est aujourd’hui, essentiellement, un consommateur.

L’individuation se perd. On différentie de plus en plus difficilement le « je » du « nous » et le « oui », anonyme, caractérise l’individu confronté de plus en plus aux névroses et comportements obsessionnels de compensation ou de fuite (comportements individuel ou collectif suicidaires).

La singularité disparaît, le monde de l’image nous modélise en individus identiques, développant tout d’abord une capacité narcissique qui s’effondre, laissant des individus  n’ayant plus d’image de soi, ne s’aimant plus, et qui deviennent incapables d’aimer l’autre.

Nicole Aubert ajoute alors à la définition proposée par François Asher : « individualisation, rationalisation et différenciation »,  les termes « d’organisation systématique de l’adoption » des produits industriels, c’est-à-dire l’organisation de la consommation. La synchronisation amène à une déconscientisation, à une perte de l’amour pour l’autre, pour soi. On développe un narcissisme alors, qu’on n’a pas les moyens de le réaliser. Le « nous » constitué de ces « je » nous détruis. Pour Nicole Aubert, l’individualisation et la perte d’individuation sont indissociables, le premier succédant au second. Leroy-Gouhan évoque un couple « ethnie/système technique » qui se différencierait du couple « silex/cortex », l’ethnie devenant le lien de singularité, puis de l’ethnie vers le citoyen et enfin du citoyen vers la machine, comme perte d’individuation caractéristique de la modernité.

L’auteure se demande si une nouvelle forme d’individuation « collective » dont les « marques » (dont il y aurait fort à dire), seraient le support ; nouvelle forme d’individuation organisée par des entreprises de production qui produiraient des systèmes d’individuation collective, comme unités économiques se substituant aux unités politiques, plus par la consommation que par le travail, fragilisant les processus d’individuation qui remplacent l’individuation psychique et collective (celle de la nation). Nicole Aubert que cette individuation produit par le marketing n’est pas viable à long terme, aussi jetables, que ce qu’ils produisent et auxquels s’ajoutent les limites poussées par l’écologie du système.

L’individu « sur-attentionné » aux produits du marketing finit par devenir totalement distrait ; la rétention hyperindustrielle obtenant alors l’inverse de ce qu’elle souhaitait, engendrant également une perte du désir. On essaie alors de capter l’attention par l’intermédiaire de réseaux (système technique machinique) dont le développement est à un stade d’individuation technique. Les utilisateurs ou destinataires de ceux-ci en sont des éléments fonctionnels

Il n’y  a plus d’individu mais  des particuliers  grégaires  et  tribalisés.  Va-t-on vers une organisation sociale arthropomorphe d’agents cognitifs-réactifs de la société ? Telle celle des fourmis, mais produisant, non plus des symboles, mais des phéromones numériques. La société humaine devenant un système multi-agents.

Tendrait-on à devenir une société humaine dont l’organisation serait identique aux sociétés animales les plus parfaites, ou l’individu, soumis, n’existe  que comme une cellule, régit dans un espace temps.

Le système pourrait alors s’accomplir presque parfaitement : un individu connecté aux réseaux mondiaux envoie et reçoit des messages du ou des serveurs où s’enregistre la mémoire du comportement collectif, tout comme la fourmi qui secrète ses phéromones, tout en décodant et sommant le comportement des autres fourmis. Les agents cognitifs que nous sommes tendraient à devenir réactifs, purement adaptatifs. Le « Je » souffre et devient alors agressif. La liberté de l’humain ne serait alors qu’une étape avant l’assujettissement de toutes les particules de l’organisme supra-individuel (Leroi-Gourhan – 1965). Pure fiction ? Peut être, peut être pas. Les individus pensant ont tendance à disparaître. Nicole Aubert estime qu’il s’agit d’un combat entre deux tendances qui s’affrontent mais dont rien ne permet de connaître l’issue définitive.

Le préfixe hyper implique une « énormité » ; l’hypermodernité est synonyme d’une très grande modernité. Celle-ci produit des individus modernes par excès, engendrant des individus par défaut et des individus pervers, développant des pathologies du manque faisant écho aux pathologies de l’excès.

Qu’est-ce qui malgré tout fait tenir cette société ? Le développement de solidarités nouvelles, de nouveaux liens sociaux allant vers une société équitable. Nicole Aubert envisage une modernité de 3ème niveau. Elle distingue la postmodernité, une modernité de 1er niveau : période moderne avant l’avènement de la société industrielle, une modernité de 2ème niveau : modernité industrielle à solidarité organique et une troisième modernité où les solidarités organiques sont remplacées par des solidarités réflexives. Un certain individualisme, marqué par la solitude et une certaine inquiétude, adhérant à divers collectifs (Mongin) symboliserait une troisième solidarité faites de nombreux liens fragiles. L’individualisme moderne naît donc d’un tissu dont les fils sont plus faibles, mais plus nombreux et continuellement agrémentés.

En conclusion, il serait normal d’envisager une mutation anthropologique tellement l’identité corporelle, l’identité temporelle et l’identité communicationnelle des êtres est affectée, en même temps que leur institution sociale en tant qu’individu.

Est-ce la même humanité  qui s’exprime autrement ou une autre humanité qui advient ? La question fondamentale restera ouverte. L’auteure en terminera  avec ce dernier questionnement : sommes-nous en train de changer pour de bon d’identité ou bien sommes-nous seulement en train de renouveler notre manière d’être ?

La lecture de ce livre m’a profondément interpelée. Il est à constater qu’individuel ou en groupe, le lien humain reste indispensable quelle que soit la forme qu’il prend.

Ghislaine PIERQUET

Samedi 5 Mai 2012

3 commentaires

    Barbier, le juin 14, 2012 à 11:42 am

    Enfin un excellent article sur l’homme hypermoderne, je peins l’homme par défaut. Pouvons-nous travailler ensemble sur le texte que je souhaite présenter lors de mes différentes expositions ? Merci de votre réponse. Barbier.

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